Cette reconstruction narcissique en ligne s’achève, comme chacun sait désormais, par un retour combatif In Real Life : « J’ai décidé de proposer aux Français un nouveau choix politique ». Lequel ? : « Je suis candidat à la présidence de ma famille politique ». Voilà donc le nouveau grand espoir que propose Nicolas Sarkozy sur Facebook : sur la foi de son Je enfin sorti du désarroi, il va prendre la tête de son parti puis, espère-t-il, de toute la droite.
Je, le fils prodigue, va redevenir Je le pater familias.
A l'entendre, c’est joué d’avance, les autres grandes figures de sa famille ne sauront résister à son retour. C’est que ce qu’indique le Je futuriste utilisé : « Je proposerai de la transformer de fond en comble » (sa famille). Que fera-t-il de cette entité recomposée ? Une projet assez vague est annoncé, créer « la formation politique du XXIe siècle ». C'est-à-dire ? "Je" n'en dit rien de plus, mais que tous se rassurent : « Je le ferai » martèle-t-il. Et que ses soutiens ne s’inquiètent pas : « Je connais les difficultés qui nous attendent ».
C'est une des rares fois où Nicolas Sarkozy utilise le « Nous ». Car enfin, tout ego, fut-il démesuré, doit faire quelque concessions : il n’arrivera pas à tout accomplir seul, même le Roi dit « Nous voulons ».
Ce Je sarkozien qui veut, qui promet, qui s'étale, qui jouit de son seul énoncé - le Je est un "sujet d'énonciation" disent les grammairiens - nous le connaissons bien. Dès sa première allocution aux parlementaires de la majorité, en juin 2007, déjà, juste après son élection, « Je » y apparaissait 126 fois. Déjà, il était redondant : « Tout ce que je ferai, je le ferai… ». Déjà, il était volontariste : « Je ferme la porte au reniement...». Déjà, il le confondait avec le « nous » : « Quand je dis « nous réussirons », je ne veux pas dire que mon but… ».
On retrouvait cette même première personne omniprésente dans le discours au Medef d'août 2007. Je y apparaissait 134 fois, près de 5 fois par page. Que disait ce « Je » déferlant ? Comme aujourd'hui. Il veut, il veut encore et toujours. On comptait 55 « je veux » : « Je veux mettre un terme », « Je veux la rupture » (6 fois) « je veux parler le langage de la vérité », « je veux la croissance », « Moi je veux... ».
Au cours de son entretien du dimanche 25 septembre sur France 2, 45 minutes durant, dans le bocal de l'écran, M. Sarkozy a continué à nous conter les agitations de son Je. D’entrée, Je justifie son retour en politique, autant par désir, « J’ai envie », que par devoir : « Je n’ai pas le choix ». Puis, dans un nouveau grand élan narcissique, Je assure qu'il est seul à pouvoir sauver la France : « Si Moi, je ne fais pas ce travail, qui le fera ? » Il reprend plusieurs fois cette idée très égotique du Je omnipotent : « Si j’ai perdu (en 2012) c’était ma responsabilité ». Ce n’était donc pas celle d’une majorité de Français ? Nous nous trompions : Je avait fauté.
Tout au long, ce Je vibrionnant a apporté toutes les réponses, pour conclure, césarien : « Je suis venu pour créer les conditions d'une alternative crédible qui rassemble les Français… ». Concernant les différents avec François Hollande, ils ont été réduits à une bataille d’ego - « Monsieur Hollande pense le plus grand mal de Moi, je ne pense rien de lui » - conclu par un dramatique : « Moi, je n’ai pas menti ». Ce Je omniprésent est aussi un Moi intime : la personne Nicolas Sarkozy, qui dévoile le fond de son âme.
Les nombreuses affaires de justice qui attendent l’ancien président - affaire Bygmalion, Karachi, etc -, ont été elles-aussi ramenées à une problématique personnelle : si elles menacent le Je candidat, elles n'atteignent pas le Moi profond : « Si j’avais quelque chose à me reprocher, au fond de Moi, vous croyez que je… ». Ainsi va l'amour de Nicolas Sarkozy pour lui-même : son Je ne craint pas les juges, car son Moi mis à nu devant les téléspectateurs est exempt de tout péché.
On se souvient qu’en mars 2007, Nicolas Sarkozy confiait au philosophe Michel Onfray qu’il trouvait «absurde» le principe de Socrate « Connais-toi toi-même », et qu’il jugeait cette démarche « impossible ». Il semble en effet que M. Sarkozy, les années passant, méconnaisse toujours l’extraordinaire inflation discursive d'un Je narcissique, confinant à une forme inédite d'auto-érotisme médiatique.